Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

Dans le même numéro

Le coût de l'immigration : un faux débat ?

mars/avril 2015

#Divers

Depuis plusieurs années, la question du coût de l’immigration revient périodiquement dans la presse française. En effet, la contribution actuelle des populations « issues de l’immigration » à l’économie de notre pays interroge du fait de leur marginalisation apparente sur le marché du travail. Selon l’Insee1, les populations immigrées et leurs enfants, qui représentent environ 19 % de la population française en 2008, soit 12 millions de personnes, ont un taux de chômage respectivement de 16 et 15 %, alors que ce taux est de 8 % pour la population « native ». Elles occupent plus souvent des emplois peu qualifiés et vivent pour près d’un tiers d’entre elles en logement social.

Une égalité des chances toute théorique

Ainsi, si la majorité des personnes qui émigrent de pays moins développés vers la France cherche à y obtenir un meilleur niveau de vie, leur insertion dans l’économie nationale est plus contrainte que pour le reste de la population. Le décalage global au niveau de leurs compétences linguistiques et de leur qualification par rapport aux non-immigrés (38 % n’ont aucun diplôme contre 15 % des « natifs ») limite leur accès au marché du travail et les expose à une plus grande précarité, les conduisant à recourir plus souvent aux minima sociaux pour s’assurer un revenu. Parallèlement, ces difficultés socio-économiques accentuent les comportements déviants (délinquance et incivilités), à l’origine de problèmes d’insécurité dans certains quartiers et du ressentiment d’une partie de la population française, aussi bien chez les « natifs » que chez les descendants d’immigrés présents sur le territoire depuis longtemps.

Cependant, résumer l’impact économique de l’immigration uniquement à ses aspects négatifs relève de l’instrumentalisation d’une réalité certaine à des fins idéologiques. La question, complexe compte tenu des multiples facteurs impliqués, nécessite une approche plus fine, moins statique et plus constructive.

En premier lieu, les analyses portant sur le coût de l’immigration concernent en règle générale seulement les populations immigrées et leurs enfants. Il est toutefois impensable que ces dernières puissent obtenir les mêmes chances de réussite socio-économique que la population « native », du fait de leur situation de départ considérablement moins favorable. Leur taux d’employabilité ne peut être que limité dans un contexte français où l’accès à l’emploi est corrélé au niveau de qualification des personnes, lui-même dépendant du statut social des parents, à cause d’un marché du travail beaucoup moins souple qu’aux États-Unis ou au Royaume-Uni (absence de salaire minimum, droit du travail limité…), d’une politique éducative devenue inefficace et de l’effet de discriminations à l’embauche.

L’élévation du niveau de diplôme, indispensable pour espérer obtenir un emploi plus qualifié, doit donc se mesurer à l’échelle de plusieurs générations, comparativement aux précédentes vagues migratoires que la France a connues, pour pouvoir en tirer une conclusion définitive sur l’insertion économique des populations d’origine étrangère arrivées plus récemment. À ce titre, il est notable de constater une progression du niveau éducatif des populations issues de l’immigration depuis 1990. Alors que les immigrés de 30 à 49 ans étaient 60 % à n’avoir aucun diplôme, ils ne sont en 2008 plus que 38 % dans ce cas. Même si cette évolution demeure largement insuffisante et couvre des réalités disparates, elle n’en constitue pas moins un élément positif. D’ailleurs, les ascensions sociales les plus fulgurantes, rares à notre époque, sont le fait de descendants d’immigrés.

En deuxième lieu, ces analyses mélangent des populations d’origines géographiques différentes alors que les dynamiques migratoires varient dans le temps et dans l’espace. La part des immigrés extra-européens dans l’ensemble des immigrés est passée de 37 % en 1975 à 66 % en 2008. En conséquence, les flux d’immigration extra-européenne, principalement d’Afrique, sont aujourd’hui les plus importants du fait de la situation économique critique des pays d’origine et de la pression démographique qui s’y exerce. En l’absence d’une politique de quotas effectuant une discrimination arbitraire des populations, la diversification des origines entraîne donc mécaniquement une diversification des profils socioprofessionnels des immigrés. La majorité d’entre eux étant à l’origine peu qualifiés et issus de sociétés faiblement avancées sur tous les plans, on ne peut légitimement leur reprocher leurs plus grandes difficultés d’insertion par rapport à d’autres vagues migratoires. Il relève du bon sens de comprendre que l’adaptation d’un Malien prendra plus de temps que ce ne le fut pour un immigré polonais, originaire d’un pays dont le niveau de développement était supérieur à celui d’un pays du Sahel.

Immigrés et classes populaires, même combat…

En troisième lieu, ces analyses abordent la contribution de l’immigration à l’économie nationale principalement sous l’angle des difficultés. Pourtant, si 16 % des actifs immigrés sont au chômage, 84 % ont un emploi, chose, somme toute, relativement satisfaisante par rapport à leur situation de départ, sans commune mesure avec les caractéristiques socio-économiques des « natifs ». Parallèlement, les emplois occupés par les personnes issues de l’immigration ne sont pas « pris aux Français », puisque ce sont, pour la plupart d’entre eux, des emplois qui correspondent à des besoins en main-d’œuvre supplémentaire non satisfaits par les nationaux (comme dans le Btp, l’hôtellerie, le milieu hospitalier…), ou des emplois créés par les populations d’origine étrangère pour répondre à une demande locale. On ne peut concevoir le marché du travail comme un domaine statique où tous les emplois seraient substituables entre eux, car ce marché, dynamique et localisé, dépend, notamment, de l’efficience économique des secteurs d’activité d’une région. En outre, lorsque les personnes issues de l’immigration n’occupent pas un emploi, elles dépensent néanmoins un revenu, qui alimente l’économie nationale du côté de la consommation et du côté des prélèvements, notamment via la Tva. En conséquence, même si les populations issues de l’immigration ont un coût pour l’État, elles contribuent positivement à la croissance de l’économie grâce à leur structure par âge plus jeune et à leur niveau d’activité, à condition de politiques d’accueil adaptées.

Enfin, les analyses portant sur l’impact économique de l’immigration présentent la plupart du temps des données agrégées au niveau macroéconomique, c’est-à-dire au niveau national. Pourtant, les problématiques d’intégration sociale et d’employabilité des populations immigrées varient en fonction des territoires. Au cœur des grandes métropoles multiculturelles telles que Paris et Lyon, où l’économie locale offre un plus grand volume d’emploi grâce à leur niveau de services et à la taille du marché, les personnes d’origine étrangère s’insèrent plus facilement au sein de réseaux professionnels, même s’il s’agit d’emplois non déclarés. Il n’existe pas de corrélation systématique entre niveau de chômage d’un territoire et immigration. Pour ne prendre qu’un exemple parlant, le taux de chômage en Seine-Saint-Denis (12, 7 % en 2013) est légèrement inférieur à celui du Nord-Pas-de-Calais (13, 3 % à la même date), alors que le pourcentage d’immigrés y est plus du triple (28 % contre 9 % en 2010). Ces deux départements souffrent, en revanche, de manière identique de déséquilibres socio-économiques importants, dus notamment à la concentration de classes populaires et au manque de diversification de leur économie.

Ainsi, l’une des erreurs fondamentales des politiques de développement régional et d’urbanisation des Trente Glorieuses fut la construction massive des logements sociaux au même endroit, parfois jusqu’à occuper plus de 70 % du parc d’une commune, à l’origine d’une forte segmentation socio-spatiale des agglomérations françaises, renforcée par la spécialisation fonctionnelle des territoires. Nous héritons des effets ségrégatifs de ces politiques d’aménagement technocratiques, qui rendent aujourd’hui difficile le rétablissement d’équilibres socio-économiques dans certaines communes, à la fois en termes de structure de la population et d’emploi. Il convient donc de s’interroger davantage sur la nature de ces équilibres à l’échelle de bassins de vie et d’emploi pertinents, plutôt que de se focaliser de manière circulaire sur les problèmes des quartiers en difficultés.

Ces constats permettent de dessiner plusieurs perspectives concernant l’insertion économique des populations d’origine étrangère en France. D’une part, il est nécessaire de reconnaître le caractère multiculturel de la société française afin d’élaborer des politiques adaptées aux spécificités des nouveaux arrivants. Le regroupement familial constituant aujourd’hui le principal motif d’immigration en France, les questions touchant à la reconnaissance de la diversité, à l’éducation, au travail des femmes et à la formation des jeunes sont prioritaires. D’autre part, ce caractère multiculturel trouve une traduction géographique et urbaine à travers la répartition des populations sur le territoire, qui ne sont pas sans générer certaines tensions avec les populations « natives ». Comme on observe par le jeu des réseaux et du marché des phénomènes d’agglomération des populations aux caractéristiques socio-économiques et culturelles semblables sur un même territoire, le maintien d’une mixité sociale et économique par les pouvoirs locaux au niveau des bassins de vie et d’emploi est impératif pour assurer les équilibres territoriaux. Il est la condition du « vivre-ensemble » dans une société qui doit s’adapter à la mondialisation et à l’évolution des marchés.

  • 1.

    Source : Insee, recensement 2008, exploitation principale.